Ici, nous présentons un protocole utilisé pour effectuer des expériences de microscopie de force de traction sur les cellules B. Nous décrivons la préparation de gels polyacrylamides mous et leur fonctionnalisation, ainsi que l’acquisition de données au microscope et un résumé de l’analyse des données.
La microscopie de force de traction (TFM) permet de mesurer les forces produites par une cellule sur un substrat. Cette technique infère des mesures de force de traction à partir d’un champ de déplacement observé expérimentalement produit par une cellule tirant sur un substrat élastique. Ici, nous avons adapté TFM pour étudier la structure spatiale et temporelle du champ de force exercé par les cellules B lorsqu’il est activé par l’engagement antigène du récepteur des cellules B. La rigidité du gel, la densité des perles et la fonctionnalisation des protéines doivent être optimisées pour l’étude de cellules relativement petites (~ 6 μm) qui interagissent avec les ligands et réagissent spécifiquement aux ligands pour les récepteurs de surface cellulaire.
Les cellules B sont les cellules productrices d’anticorps du système immunitaire. Pour activer la réponse immunitaire adaptative, ils acquièrent d’abord l’antigène sous une forme indigène (c.-à-d. non traitée) par l’intermédiaire d’un récepteur spécifique appelé récepteur des cellules B (BCR)1. Ce processus se produit dans la zone cellulaire du ganglion lymphatique B. Même si certains antigènes peuvent atteindre la cellule B par des fluides lymphatiques, la plupart des antigènes, en particulier avec un poids moléculaire élevé (>70 kDa, qui est la taille limite pour les conduits lymphatiques) sont en effet présentés sous leur forme indigène à la surface d’une cellule de présentation d’antigène (APC), typiquement un macrophage de sinus subcapsulaire ou une cellule dendritique folliculaire, par des récepteurs de lectine ou de Fc (non spécifiques). Le contact avec cette cellule conduit à la formation d’une synapse immunitaire où le BCR exerce une force sur les antigènes associés à l’APC. La liaison d’un antigène au BCR initie la signalisation BCR, qui peut activer des mécanismes générateurs de force. Ces forces pourraient être importantes pour amplifier la signalisation BCR, mais sont également essentielles pour que les cellules B extraient puis intériorisent l’antigène.
Des études récentes ont montré que le BCR est en effet mécanosensible2. Par exemple, des substrats plus rigides provoquent une signalisation BCRaméliorée 3. En outre, la force générée à la synapse immunitaire tire sur les BCR simples pour sonder son affinité à l’antigène et ainsi assurer la discrimination d’affinité4. Il est donc intéressant d’étudier la réponse mécanique des cellules B à la présentation de l’antigène et de disséquer cette réponse en termes de type de récepteurs impliqués (IgG/IgM)5,molécules d’adhérence (ligands d’intégrine) ou dans les cellules pharmacologiques et génétiquement modifiées (c.-à-d. le silence d’une protéine en aval de la signalisation BCR ou de la dynamique du cytosquelette)6.
Une méthode simple pour observer la réponse d’une cellule à un substrat de rigidité physiologique et, en même temps, les forces d’étude exercées sur le substrat est microscopie de force de traction (TFM). TFM consiste à observer le champ de déplacement produit par la cellule tirant sur un substrat élastique. À l’origine, la déformation du gel a été observée par les rides de l’élastomère lui-même par microscopie à contraste phase7, mais l’insertion de microbilles de fluorescence comme marqueurs fiduciaux a permis une meilleure résolution et est depuis devenu la norme8. Cette méthode a été utilisée pour étudier la force de traction exercée par les cellules adhérentes, les tissus et même les organoïdes incorporés dans les gels. Plusieurs variantes de TFM ont étédéveloppées 9 comprenant, la combinaison avec la microscopie de superrésolution (c.-à-d., STED10 ou SRRF11),la modification de l’index réfractif du gel pour permettre la microscopie de TIRF12,remplaçant des perles par des modèles nano-imprimés13,et utilisant des nanopillars au lieu de la surface plate14. Pour un examen complet de ces variations, voir Colin-York et coll.15.
Le protocole présenté ici décrit une procédure visant à mesurer les forces exercées par les cellules B sur un substrat recouvert d’antigènes. Ces forces sont appliquées sur les ligands (antigène) afin de les regrouper et de les extraire par la suite du substrat présentant des antigènes. Nous avons adapté le protocole TFM standard pour imiter la rigidité des substrats physiologiques présentant des antigènes, la taille et le revêtement pertinent pour les cellules B. Ce protocole permet l’étude simultanée de plusieurs cellules et peut être utilisé conjointement avec des techniques de microscopie par fluorescence et des traitements chimiques. Cependant, il ne vise pas à sonder les mesures de force d’une molécule unique, pour lesquelles les pinces optiques16, les sondes de tensionmoléculaire 17,18, les sondes de force biomembrane19, et la microscopie de forceatomique 20 sont des techniques plus appropriées. Par rapport à d’autres méthodes de mesure de la force cellulaire unique (p. ex., micropipettes21 ou microplaques22)TFM permet la reconstruction d’une carte complète des forces exercées à la synapse avec une résolution d’environ 300 nm. Ceci est utile pour identifier les modèles spatio-temporels dans les forces exercées à la surface et, comme le gel est compatible avec l’imagerie confocale, pour les corréler avec le recrutement de protéines spécifiques (par exemple, le cytosquelette et les protéines de signalisation).
Bien que la TFM 3D soit possible, elle n’est pas compatible avec la rigidité et la configuration que nous avons utilisée. Les déformations en 3D sont réalisables par d’autres configurations plus complexes telles que la microscopie par force de saillie (AFM scannant une membrane déformable où les cellules sont plaquées)23,24 et la microscopie de stress de résonateur élastique (ERISM, gel agissant comme cavité résonnante pour la lumière et mettant en évidence les déformations du substrat avec précision de quelques nanomètres)25. Bien que ces techniques soient très prometteuses, elles n’ont pas encore été utilisées dans les cellules B. D’autres types de TFM, comme sur les nanopillars14,pourraient être utilisés pour avoir des substrats plus reproductibles. Cependant, cette géométrie n’est pas adaptée aux cellules molles car la cellule interpénère les piliers, ce qui complique l’analyse. Cette approche a en effet été utilisée dans les cellules T pour observer la capacité de la cellule à construire des structures autour des piliers26.
Malgré sa simplicité, le TFM utilisant des gels polyacrylamides permet l’observation simultanée de nombreuses cellules et peut être facilement et à peu de frais mis en œuvre dans n’importe quel laboratoire équipé d’un banc et d’un microscope à épifluorescence (bien que nous recommandons le disque confocal/filature).
Pour imiter la rigidité physiologique d’un APC, nous avons utilisé des gels polyacrylamides avec une rigidité de ~500 Pa27 et fonctionnalisé le gel avec des antigènes activants. Dans ce protocole, nous avons fonctionnalisé la surface du gel de polyacrylamide avec le lysozyme d’oeuf de poule (HEL). Cela permet de mesurer les forces générées par la stimulation du BCR par l’engagement du site de liaison antigène. L’utilisation de cet antigène et des cellules B spécifiques à HEL des souris MD4 assure une génération de force relativement uniforme en réponse à la ligature antigène28. Cependant, d’autres molécules (comme l’anti-IgM pour les souris B6) peuvent être greffées sur le gel, mais les forces générées dans ces cas pourraient être plus hétérogènes et moins intenses. Étant donné que les cellules B sont de petites cellules (diamètre ~6 μm), le nombre de perles a été optimisé pour être maximal mais toujours à suivre. Pour les grandes cellules qui exercent des forces ~kPa sur leurs substrats, on peut obtenir des résultats satisfaisants en utilisant des perles relativement clairsemées ou en effectuant une velocimétrie simple d’image de particule (PIV) pour reconstruire le champ de déformation. Cependant, pour les petites cellules telles que les lymphocytes B qui exercent un stress aussi petit que ~50 Pa, l’utilisation d’un seul suivi des particules est nécessaire (velocimétrie de suivi des particules, PTV) pour atteindre la précision souhaitée lors de la reconstruction du champ de déformation. Afin de suivre de manière fiable les perles individuellement, le grossissement de la lentille objective doit être d’au moins 60x et son ouverture numérique autour de 1,3. Ainsi, les gels doivent être relativement minces (<50 μm), sinon les perles ne sont pas visibles car elles sont au-dessus de la distance de travail de l’objectif.
Le protocole principal se compose de trois sections : préparation de gel, fonctionnalisation du gel et imagerie; deux autres sections sont facultatives et sont dédiées à la quantification de l’extraction des antigènes et à l’imagerie des cellules fluorescentes.
La méthode TFM décrite ici permet l’étude systématique des capacités mécaniques actives des cellules B. Dans le contexte des cellules B, ceci est lié à la capacité d’extraire et d’internaliser l’antigène. Comparé à d’autres méthodes de TFM, le protocole présenté ici est simple et plutôt reproductible : la rigidité, mesurée par l’indentation d’une microsphère en verre et utilisant le modèle Hertz, se situe entre 400 et 600 Pa. Des protocoles similaires ont été utilisés avec succès non seulement pour les cellules B35 mais aussi pour les cellules T36. Par rapport aux nanopillars (également utilisés pour les lymphocytes T37),il fournit une surface homogène plate, d’où les résultats sont plus faciles à interpréter que l’interaction du gel sont principalement contraints d’être tangentielle à la surface.
Le protocole que nous avons décrit donne accès à la dynamique spatiotemporale des forces exercées par les cellules B sur les substrats présentant des antigènes. Sur le plan spatial, cela fournit des informations sur la localisation des forces, et en combinaison avec la microscopie de fluorescence, permet à l’expérimentateur de corréler les forces locales avec la présence de molécules spécifiques (c’est-à-dire des composants du cytosquelette ou de la cascade de signalisation BCR). Au niveau temporel, il est possible d’intégrer des quantités (comme l’énergie totale ou le stress total) pour fournir une valeur par point de temps et réduire le bruit. Cela permet d’observer l’évolution de la force de traction dans le temps (croissance et plateau) et la présence de motifs pulsatiles.
Les aspects expérimentaux critiques de l’analyse sont décrits comme suit. (i) Densité cellulaire : pour effectuer une analyse correcte, les cellules doivent être suffisamment séparées. Nous considérons qu’une cellule est analyzable si elle a une région vide de sa propre taille autour d’elle. (ii) Image de transmission : il est conseillé de recueillir au moins une image de transmission des cellules pendant l’expérience pour être utilisée comme masque dans l’analyse. iii Nombre de perles dans l’image : nous suggérons d’analyser uniquement les images où le nombre de perles dans la synapse se situe entre 30 et 200 (soit 1 à 8 perles/μm²). Les densités inférieures ne permettent pas une reconstruction adéquate du déplacement des cartes. Les densités élevées de perles rendent le suivi des particules unique peu fiable. iv) Le nombre de perles doit être constant pendant l’expérience; cependant, des fluctuations peuvent se produire en raison de la faible variabilité des conditions d’imagerie (en particulier dans les perles qui sont trop proches les unes des autres). La dérive de mise au point, si elle se produit, doit être corrigée et les cadres problématiques doivent être jetés. v) Qualité du gel : les gels avec trop de fissures, la variabilité de la distribution des perles ou les gels trop épais doivent être jetés. (vi) Selon le type de cellule, après des expositions répétées, les cellules à des moments tardifs (>300 images) peuvent subir des effets phototoxiques. Il est conseillé d’exécuter le programme sur un masque dépourvu de cellules comme une « ligne de base » à comparer avec les données. Cela fournit une magnitude du niveau de bruit uniquement en raison des conditions expérimentales.
Les gels utilisés pour mesurer la force de traction dans l’adhérence classique permettent d’examiner les processus qui se produisent à l’adhérence focale (flux d’actine et recrutement de molécules de signalisation) — les points où les forces sontappliquées 38,39. Cependant, les forces à la synapse ne sont pas appliquées par des adhérences focales. Le modèle spatiotemporal de génération de force à la synapse immunisée de cellules de B n’a pas été quantitativement étudié utilisant cette méthode jusqu’à récemment. En utilisant TFM, nous avons observé pour la première fois, le modelage de force à la synapse immunisée de cellules B, tel que présenté dans notre étuderécente 6,ouvrant des perspectives encourageantes dans l’étude des lymphocytes.
Cette méthode utilise notamment une image prise avant l’arrivée des cellules sur le gel comme image de référence pour le calcul de la force. Les protocoles TFM habituels suggèrent de prendre l’image de référence à la fin de l’expérience, après avoir détaché les cellules avec de la trypsine; cela permet à l’expérimentateur de rechercher une région riche en cellules. Bien que cela soit possible ici aussi, trypsine est plutôt inefficace pour détacher les cellules B du gel enduit d’antigène, il faut attendre longtemps pour le détachement et le risque de modification du gel et les mouvements (qui rendent l’ensemble des données inexploitables) est plus élevé.
La méthode présentée ici est flexible et peut être appliquée pour étudier l’effet d’autres signaux à la synapse immunitaire car elle permet de greffer d’autres protéines sur la surface du gel (par exemple, les ligands d’intégrine et les immunoglobulines ont été testés) et même l’antigène fluorescent (voir la section 4). En outre, les cellules restent accessibles à l’expérimentateur pour le traitement de la drogue et les perturbations locales. Enfin, la méthode est également compatible avec l’imagerie des cellules fixes. Pour ces observations, il est recommandé de faire le gel sur un coverslip, tacher les cellules, coller le coverslip sur une diapositive et seulement ensuite ajouter des supports de montage et un autre coverslip. L’observation se fera ensuite avec le gel sur le dessus pour éviter la dégradation de l’image à travers le gel.
Les pièges possibles sont la variabilité du gel dans la polymérisation et le revêtement. Les problèmes de polymérisation sont principalement dus à la qualité de l’initiateur/catalyseur. En outre, le gel peut gonfler, surtout s’il n’est pas utilisé juste après l’assemblage. Ce problème ne semble pas affecter considérablement les propriétés mécaniques du gel, mais il peut rendre la couche de perles inaccessible pour l’objectif, rendant effectivement le gel inutile. Nous vous recommandons de préparer des gels supplémentaires pour chaque condition lorsque ce problème apparaît. Il peut également y avoir une certaine variabilité dans le revêtement, et il est crucial d’avoir sulfo SANPAH fraîchement dilué.
En conclusion, nous avons décrit une méthode simple, bon marché et reproductible pour mesurer les forces exercées par les cellules B à la synapse immunologique lorsqu’elles sont activées par bcr ligand. Il peut être adapté pour étudier la réaction à d’autres ligands et autres types de lymphocytes (cellules B de mémoire, lymphocytes T, etc.) avec l’utilisation du ligand récepteur approprié.
The authors have nothing to disclose.
Les auteurs remercient M. Bolger-Munro pour leur lecture critique et reconnaissent le Nikon Imaging Center@CNRS-InstitutCurie et PICT-IBiSA, Institut Curie, Paris, membre de l’infrastructure nationale de recherche France-BioImaging, pour leur soutien à l’acquisition d’images et à l’Installation animale Curie. PP a été soutenu par le CNRS. AK et JP ont été soutenus par paris Descartes PhD fellowship et Ecole Doctorale FIRE—Programme Bettencourt. Ce projet a été financé par des subventions à PP (ANR-10-JCJC-1504-Immuphy) et AMLD (ANR-PoLyBex-12-BSV3-0014-001, ERC-Strapacemi-GA 243103).
3-aminopropyltrimethoxysilane (APTMS) | Sigma-Aldrich | 281778 | Store aliquoted, protected from humidity |
40% Acrylamide Solution | Biorad | 1610140 | |
Alexa555 microscale protein labeling kit | Molecular Probes | A30007 | |
Ammonium Persulfate (APS) | Sigma-Aldrich | A3678 | |
B cell Isolation Kit, Mouse | Miltenyi Biotec | 130-090-862 | |
B-mercaptoethanol | Gibco | 31350-010 | |
2% Bis Solution | Biorad | 161-0142 | |
Bovine Serum Albumin (BSA) | Euromedex | 04-100-812-C | |
Coverslip 18mm | VWR | 631-1580 | |
Fetal calf serum | PAA | A15-151 | Decomplemented (40min @56°C) |
Fluorodishes FD35 | World Precision Instruments, Inc | FD35100 | |
Fluosphere: carboxylate-modified, 0.2um, dark red | Molecular Probes | F8807 | |
Hen Egg Lysozyme | Sigma-Aldrich | L6876 | Stocked in aliquote 100mg/ml |
MEM Non-Essential Amino Acids Solution (100X) | Thermofisher/Gibco | 11140035 | |
N,N,N',N'-tetrametiletilendiammine (TEMED) | Euromedex | 50406-B | |
PBS (Phosfate Buffer Saline) | Gibco | 10010-015 | |
Penicillin–streptomycin | Gibco | 15140-010 | |
RMPI 1640 – Glutamax I | Thermofisher | 61870-010 | |
Sigmacote | Sigma-Aldrich | SL2 | |
Sodium pyruvate | Gibco | 11360-039 | |
sulfosuccinimidyl 6-(4'-azido-2'-nitrophenylamino)hexanoate (Sulfo-SANPAH) | Thermo Scientific | 22589 |